80

Une septième croix de pierre blanche au sommet de laquelle flottait une longue écharpe de soie rouge s’ajouta aux précédentes. Elle portait le nom du baron de Frontignac mais, pour ses amis, signifiait bien autre chose et, malgré lui, le comte de Nissac eut un fugitif sourire de tendresse en songeant à tous les remèdes insensés que son ami lui avait fait avaler.

Nissac, Florenty et Fervac tirèrent l’épée.

Il pleuvait, le ciel était bas et maussade, une grande tristesse entourait les êtres et les choses. Le roi et le cardinal, prévenus trop tard, n’avaient pu faire envoyer bouquets de lys selon la coutume lorsque tombait un Foulard Rouge.

Comme l’avait prévu Mazarin, la Fronde entra rapidement en putréfaction.

Condé avait installé ses hommes en un gouvernement de la Fronde appelé « Conseil des seigneurs » où l’on retrouvait Beaufort, Nemours, La Rochefoucauld, Rohan-Chabot, Chavigny, Sully, Brissac et d’autres encore.

Les bourgeois furent imposés pour huit cent mille livres.

Tout cela demeurait inutile. Pour le peuple de Paris dégrisé, Condé était seul responsable du grand massacre de l’Hôtel de Ville et il fut haï comme jamais encore.

Le lendemain des combats meurtriers, les commerçants osèrent même garder boutiques fermées.

Dérisoire, le cardinal de Retz enfermé en son évêché jouait sur les deux tableaux, ignorant qu’il perdrait partout.

Fin juillet, le duc de Beaufort tua en duel le duc de Nemours, pourtant son beau-frère, privant ainsi le prince d’un de ses meilleurs généraux.

Les nouvelles taxes et impôts ne rentraient point, les Parisiens y mettant mauvaise volonté. Gaston d’Orléans fut même contraint d’emprunter quarante mille livres qu’il remit aussitôt aux fabricants de munitions, l’armée des princes n’en ayant plus.

La situation économique de la Fronde se trouvait aussi désespérée que ses perspectives politiques et militaires.

Les soldats de Condé, affamés dans leur campement du Faubourg Saint-Marceau, se jetèrent sur les fruits et les citrouilles en les jardins. On sonna le tocsin et la foule tua trente soldats condéens.

À Paris et en ses faubourgs, on comptait cent mille mendiants. On mourait de faim. Plus de marchés, ni semailles, ni récoltes en les environs de la capitale. La charité n’existait plus, le brigandage prospérait.

Bravant les ordres de Condé, le duc de La Trémoille, sans fourrage pour sa cavalerie, lâcha ses chevaux dans les derniers carrés de blé.

Le prince ordonna qu’on exécutât les soldats pillards, leurs officiers préférèrent piller avec eux.

Faisant une remarque vive au comte de Rieux, celui-ci répondit si grossièrement au prince que ce dernier le gifla. À quoi le comte de Rieux répliqua en envoyant son poing en la figure du Grand Condé qui fit immédiatement conduire son agresseur à la Bastille.

La place condéenne de Monrond, appartenant au prince et à laquelle il était fort attaché, se rendit après un an de siège. Le roi la fit aussitôt raser.

Nemours tué, La Rochefoucauld aveugle, la haine des Parisiens qu’il sentait palpable, le prince fut bientôt un homme très seul, lui que la Cour et les foules avaient adoré.

En outre, Louis XIV avait très artificiellement renvoyé Mazarin qui partit en exil, certain de revenir bientôt mais ce faisant, le roi satisfaisait à une des principales revendications des Parisiens et ôtait ses raisons à la Fronde.

Affamés, malades, se sachant détestés, les soldats de la Fronde commencèrent à déserter, individuellement ou en unités.

Fin septembre, l’armée condéenne ne comptait plus que mille cinq cents hommes ! Des groupes de soldats espagnols reconnaissables à leur écharpe rouge, perdus si loin de leur pays en une ville où ils ne connaissaient point la langue, erraient dans les faubourgs, tentant de conserver un reste de dignité.

Fin septembre toujours, une grande manifestation des Parisiens eut lieu au Palais-Royal, réclamant le retour du roi. Condé n’osa point la réprimer.

En province, des villes frondeuses telles que Toulon – qui se rendit au duc de Mercœur – capitulaient et se rendaient au roi qui, fort habilement, multipliait les amnisties envers les Frondeurs qui ne fussent point hauts seigneurs, accentuant ainsi les divisions.

Louis XIV préparait son retour. Il entendait que celui-ci se fît en les meilleures conditions – les plus dures, dirent certains.

Entrés en dissidence, les Foulards Rouges refusèrent de déférer à l’ordre du cardinal qui les « suppliait » de revenir, mais se réjouissait toujours de leurs succès et qu’ils eussent enfreint ses ordres.

Les trois Foulards Rouges, aidés parfois par les quelques archers qui restaient à Galand, multipliaient les actions.

Galand, entré lui aussi en dissidence pour cette guerre privée, trouvait sans cesse de nouvelles cachettes, disposait de réseaux nombreux et variés, d’espions au cœur même de la Fronde qui, bien que le recherchant, ne nourrissait aucune illusion sur ses chances d’arrêter l’insaisissable policier.

Les Foulards Rouges organisaient la protection des personnalités fidèles au roi et le passage clandestin de certains députés et magistrats, d’abord vers Pontoise puis vers Compiègne quand la Cour s’installa en cette ville.

Portant l’écharpe Isabelle des Condéens, Nissac et Fervac provoquaient en duels sous des prétextes futiles les officiers les plus compétents du prince. Aucun ne survécut.

En plusieurs occasions, les Foulards Rouges se postèrent sur les toits, ouvrant le feu avec leurs mousquets sur les officiers de haut rang ou les seigneurs factieux de quelque importance.

Les nobles se déplacèrent alors souvent en carrosse tandis que les convois militaires devaient désigner plusieurs des leurs à la surveillance des toits pendant que leurs camarades tenaient les brides de leurs chevaux.

Tout cela ajoutait au climat d’insécurité entourant les Frondeurs tandis qu’en la ville, de plus en plus ouvertement favorable au retour de Louis XIV, se multipliaient les réseaux royalistes.

Les derniers financiers de la Fronde furent assaillis par les Foulards Rouges aidés de quelques archers. Les palais étaient incendiés, les banquiers balafrés sur chaque joue : bientôt, on ne vit plus de banquiers.

Le plus grand espion de la Fronde fut capturé par les Foulards Rouges. Interrogé par Jérôme de Galand, qu’animait une haine glacée, il indiqua les noms d’une trentaine d’agents : tous disparurent en vingt-quatre heures.

On voyait la main des Foulards Rouges partout et il n’était point une infortune de la Fronde où l’on ne soupçonnât Nissac.

Lorsqu’ils se rencontraient en quelque grenier ou cave, Nissac entreprenait souvent Galand au sujet de l’Écorcheur qui ne se manifestait plus guère. En ces occasions, le policier se laissait aller à sourire et répondait invariablement à son ami :

— La chose viendra bientôt…

Le comte de Nissac s’en irritait, persuadé qu’on ne lui disait point tout mais Jérôme de Galand tenait bon, assurant qu’il se trouvait sur l’instant d’aboutir, que l’arrestation du monstre n’était plus qu’une question de jours, d’heures, peut-être.

Début octobre, la décomposition de la Fronde semblait totale. On désertait partout, du soldat condéen qui suivait le prince depuis Rocroi, neuf ans plus tôt, au grand seigneur soudain soucieux de quitter Paris pour retrouver ses terres afin de s’y faire oublier.

Le 5 octobre, monsieur le maréchal de Turenne retira ses troupes des environs de Paris et, par cette manœuvre, il facilitait à la fois le départ des déserteurs tout en affichant un souverain mépris pour les débris de l’armée condéenne, traitée comme si elle ne représentait plus aucun danger.

Le 13 octobre, le prince de Condé quittait définitivement Paris avec les mille cinq cents officiers et soldats malades et sous-alimentés de son armée.

Le lendemain, le duc de Beaufort abandonnait ses fonctions de gouverneur de Paris. La municipalité, renversée lors du massacre de l’Hôtel de Ville, fut aussitôt rétablie.

En l’après-midi du même jour, Jérôme de Galand, sorti de la clandestinité, fit porter court billet au comte de Nissac.

On y lisait :

Ami,

À présent que la Fronde est à genoux, l’heure est venue d’en finir avec l’Écorcheur. Soyez à quatre heures de relevé en la rue Trace Nounain avec vos Foulards Rouges en grand équipement.

Deux de mes archers vous y attendront pour vous mener en cave profonde où je me trouverai en fort intéressante compagnie.

Serviteur et ami

Jérôme de Galand

Les foulards rouges
titlepage.xhtml
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_000.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_001.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_002.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_003.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_004.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_005.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_006.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_007.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_008.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_009.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_010.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_011.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_012.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_013.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_014.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_015.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_016.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_017.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_018.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_019.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_020.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_021.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_022.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_023.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_024.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_025.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_026.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_027.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_028.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_029.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_030.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_031.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_032.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_033.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_034.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_035.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_036.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_037.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_038.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_039.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_040.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_041.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_042.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_043.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_044.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_045.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_046.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_047.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_048.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_049.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_050.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_051.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_052.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_053.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_054.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_055.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_056.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_057.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_058.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_059.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_060.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_061.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_062.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_063.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_064.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_065.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_066.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_067.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_068.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_069.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_070.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_071.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_072.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_073.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_074.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_075.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_076.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_077.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_078.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_079.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_080.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_081.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_082.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_083.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_084.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_085.htm
Fajardie, Frederic H.-Les foulards rouges (2000)_split_086.htm